Histoire
Retour à la salle de presseLes orphelins de guerre accueillis en Australie
« Les sombres nuages revinrent et se rassemblèrent au-dessus du garçon. Le regard distant, il commença à trembler. Il avait entendu les obus exploser et les cris des hommes à l’agonie… Il trébuchait sur la terre retournée, observant le visage d’un officier, ensanglanté, rouge comme le coquelicot, déchiré dans la boue des Flandres… » – Anthony Hill, Young Digger
En retraçant l’histoire de leurs ancêtres militaires pendant la Première Guerre mondiale, certains Australiens font ressurgirent des histoires fascinantes. Celle des orphelins français entrés illégalement en Australie aux cotés des Anzacs est certainement l’une des plus saisissantes.
On estime que près de 9 000 enfants français perdirent leurs parents pendant la guerre.
Jusqu’à l’organisation d’opérations humanitaires, nombre d’entre eux erraient sur les champs de bataille du front occidental. La bienveillance des soldats alliés leur permit de s’en sortir.
« Digger » Honoré Hermene
Noël 1918, quelques jours après l’Armistice, le jeune Honoré Hermene errait dans la cantine de Bickendorf, en Allemagne.
Seul, affamé, il s’assit et mangea aux côtés des membres du 4e escadron de l’Australian Flying Corps.
Pour les Australiens, Honoré était connu sous le nom de Henri ou ‘Digger’. Ils en firent la mascotte de leur escadron. Il parvint à gagner leur affection avec ses plaisanteries, son habileté à attraper les rats et ses jeux dans le cockpit des avions.
Au moment d’embarquer, Tim Tovell, mécanicien aéronautique, et son frère Ted décidèrent d’emmener avec eux le petit Digger jusque Jandowae dans le Queensland. Ils le cachèrent dans un sac d’avoine, à bord du RMS Kaisar-i-Hind.
Après neuf jours en mer, Henri fut découvert mais le capitaine accepta de ne pas le dénoncer. Une fois le bateau arrivé à Perth, le garçon se fit passer pour le fils du Premier Ministre du Queensland qui était à bord lui aussi.
L’histoire fut largement relayée dans la presse, à tel point que le Gouvernement australien permit à Tim Tovell d’adopter Digger.
On ne sait pas grand-chose de la vie d’Honoré Hermene avant qu’il soit recueilli par les Australiens : il rejoignit des soldats britanniques près de Lille ; son père travaillait dans une brasserie avant qu’il ne meure au cours de la bataille de Mons en 1914. Le Consul français à Brisbane rencontra le garçon après son arrivée en Australie. Il souligna qu’il ne s’exprimait pas en patois mais parlait un très bon français.
Pendant cinq ans, le garçon vécut au sein de la famille Tovell à Jandowae, une ville de fermiers, au nord-ouest de Brisbane. Malheureusement, la nouvelle vie de famille de Digger en Australie ne dura pas beaucoup plus longtemps. Il s’installa à Melbourne pour travailler comme saute-ruisseau à la caserne de Victoria et y suivre une formation pour devenir mécanicien aéronautique, comme son père adoptif. En 1928, il mourut dans un accident de voiture à Melbourne.
Digger est enterré au Cimetière de Fawkner avec une plaque commémorative de l’association de la Royal Australian Air Force de Victoria.
L’auteur Anthony Hill, qui raconte cette histoire dans son livre Young Digger (2002), explique que Tim Tovell ne se remit jamais de la mort de Digger.
[Une photo d’eux réunis] traduit tout l’amour que ce garçon portait aux aviateurs. Elle exprime aussi le dévouement qu’ils avaient pour lui. On comprend ainsi pourquoi lui et son frère ont pris tant de risques pour emmener ce garçon avec eux. S’ils s’étaient fait prendre, ils auraient pu aller en prison.
Jean Berthe
Un autre orphelin, Jean Berthe, fut recueilli sur les champs de bataille de la Somme en 1918 et devint la mascotte du 3e Australian Pionneers.
De la même façon, lorsque vint le moment de rentrer en Australie, le soldat Robert Simpson décida de ne pas abandonner le garçon à un futur incertain.
Jean est né à Amiens en 1906. Tandis que les forces allemandes reculaient après leur attaque infructueuse sur Amiens en 1918, Jean Bert est retrouvé agenouillé auprès de l’un des membres de sa famille qui venait de se faire tuer.
Le 3e Pionneers Battalion croisa le chemin du garçon alors qu’ils étaient en train de réparer une infrastructure endommagée. Il a perdu toute sa famille.
Les historiens Sandra Hargreaves, Christine Svenson et Rob Cook ont passé plusieurs années à retracer le parcours du Quiet frenchman [ndt. le français silencieux].
« Jean devint la mascotte du 3e Pionneers et voyagea avec eux, caché, sans doute, parmi la cargaison qu’il transportait.
« Les wagons GS transportaient des sacs de paquetages et des couvertures. Cela confirme les anecdotes qui rapportent que Jean se cachait dans un sac de paquetage.
« Au moment où la plupart des membres du 3e Pionneers retournèrent à Melbourne à bord du Karagola en Juin 1919, le jeune Jean était avec eux.
« Le Private Robert Simpson l’emmena dans le Gippsland et l’accueillit dans sa famille »
Bob Simpson était pécheur à Paynesville et, en grandissant, Jean devint pêcheur lui-aussi.
Vers 1929, il fit partie d’une bonne équipe de football de Paynesville. C’était une personnalité locale. On l’appelait le frenchman.
Plus tard, il travailla au chantier naval national.
Jean Berthe eu une longue vie mais jamais il ne parla de son passé, d’où son surnom du quiet frenchman.
Un troisième orphelin connut un destin favorable en partie grâce au général John Monash.
Albert Hubert Dussart, 12 ans, originaire de Charleroi en Belgique, embarqua avec le soldat tasmanien George Leahy. Soldat Leahy cacha le garçon dans un sac en toile avant de monter à bord du navire de rapatriement en 1918.
Le faire entrer en Australie, en revanche, fut une toute autre affaire. Private Leahy discuta des possibilités d’immigration du garçon avec les autorités australienne, anglaise et belge. Finalement, le général John Monash intervint et le Premier Ministre donna son accord.
Charleroi, la ville dont était issu Dussart, fut le théâtre de combats très tôt dans la guerre. La bataille de Charleroi (21-23 août 1914) impliqua plus d’un million de soldats et fut terriblement meurtrière. Elle se conclut par la retraite des français.
Quatre ans plus tard, Dussart croisa les troupes australiennes du 26e bataillon. Il se trouvait dans une situation désespérée. Sa mère était morte de la tuberculose et il fuyait un orphelinat pris par les troupes allemandes.
Dans un entretien verbal de 1990, sept ans avant sa mort, Albert Dussart décrivit son voyage vers l’Australie.
« Au hasard de mon errance, alors qu’il neigeait, je suis tombé sur une vieille usine. Des Australiens montaient la garde… Je leur ai demandé si je pouvais dormir. […] Les diggers traversaient la passerelle, paquetage sur le dos, et moi j’étais dans ce foutu sac en toile. Quelqu’un me tapa sur la tête. C’était le capitane du bateau… il dit aux diggers : “qu’est-ce qu’il y a là-dedans” et ils répondirent : “juste du pain”.
En Australie, Albert est adopté par la famille Leahy en Tasmanie. Il déménagea ensuite au nord de la Nouvelle Galles du Sud où il s’installa, à Uralla.
Il fit des remplacements, travailla aux champs et fonda une famille avec sa femme, Alice.
Albert perdit de vue sa famille adoptive mais ses descendants ont récemment repris contact en retraçant leur histoire familiale.