Histoire
Retour à la salle de presseDes voix du passé
Une boîte remplie de lettres, de carnets, et de photos, qui appartenaient à un soldat australien, mettent en lumière le vécu d’Australiens ordinaires qui servirent pendant la Première Guerre mondiale.
Une habitante de Canberra, Penny Ferguson, a découvert ce trésor oublié dans l’ancienne maison de sa mère. Elle en a compilé le contenu dans un livre qui est une précieuse source d’informations sur les soldats de la région de Hunter Valley.
Le grand-père de Penny, le Lieutenant Ben Champion (1897-1978) de Wahroonga, dans la banlieue nord de Sydney, avait tout juste 18 ans lorsque les journaux australiens rapportèrent le débarquement des Anzacs à Gallipoli. Rapidement, le jeune homme, cadet dans la milice, réussit à obtenir l’accord de ses parents et intégra le 7e Reinforcements du 1e Battalion.
Il commença à écrire des lettres et à tenir un journal dès son arrivée à Liverpool Camp, avant d’embarquer pour Gallipoli et la France – Lagnicourt, Broodseinde Ridge et Passchendaele. Il gravit rapidement les échelons et devint lieutenant. Il prit également des photos de beaucoup d’hommes qui ne rentrèrent pas en Australie.
Mme Ferguson explique que la plupart des lettres étaient adressées à son amoureuse, Francis Julia Niland, âgée de 16 ans, qu’il appelait « Franc » (ou « Frank »). Il écrivait aussi à la mère de Franc ainsi qu’à d’autres membres de sa famille.
« Les lettres adressées à Franc étaient des descriptions personnelles du vécu de Ben en temps de guerre, atténuées et résumées pour qu’elle ne s’inquiète pas trop pour lui » raconte-t-elle.
« Son journal décrit en détail la vie d’un jeune soldat et de ses compagnons à la guerre : leurs chansons, les livres qu’ils lisaient dans les tranchées, leur perception de l’ennemi, le mal du pays, l’éloignement de leurs familles et de leurs amis restés en Australie et le désespoir de recevoir leurs lettres.
« Le contenu évolue au fil des pages. La guerre fait grandir, Ben et ses camarades s’endurcissent.
« Le journal est illustré par les photos prises par Ben. Des photos de gens, de moments et d’endroits, prises avec son petit Kodak, les pieds dans la boue, loin de chez lui. »
Penny raconte qu’elle voulait que le livre ait une portée éducative, qu’il commémore et inspire les Australiens.
« Le livre nous parle de ceux qui ont servi pendant la Grande Guerre. Il nous donne un aperçu de leur vie, c’est important pour ceux qui sont morts sans s’être mariés, sans avoir eu d’enfants, et qui n’ont pas de descendants directs pour honorer leur mémoire. » dit-elle.
« Nombreux sont ceux qui rentrèrent chez eux brisés, à des degrés différents, physiquement ou émotionnellement, parfois les deux à la fois.
« On mentionne rarement le fait que beaucoup de ces hommes sont morts quelques années après leur retour en Australie. »
Le livre contient un appendice qui répertorie les soldats dont le nom apparait dans les lettres et journaux de Ben – beaucoup de ces soldats sont originaires de Hunter Valley – ainsi qu’un résumé de l’état de service de chacun d’entre eux.
« Grâce à Ben, notre famille éloignée peut maintenant en savoir davantage sur leurs fils et se rappeler d’eux comme de jeunes hommes qui ont aimé rire pendant leur aventure, plutôt que de simplement se souvenir d’eux comme des héros qui ont fait d’énormes sacrifices » nous raconte Penny.
« Ben écrivait ses émotions, ce qu’il voyait, les événements, les coutumes, et l’histoire dont il était témoin.
« Après la guerre, ses lettres confirmaient les blessures physiques et morales dont il souffrait.
« Un bruit fort ou un orage le ramenaient en France, au milieu des coups de feu, de la pluie, de la boue et du sang. »
Le 1e avril 1918, Ben et sa troupe se reposaient près de Pradelles, au nord-ouest de Lille, lorsqu’il fut touché par l’explosion d’un obus et dut se faire amputer de la jambe gauche.
Invalide, il rentra en Australie au mois d’août suivant, épousa Franc, devint dentiste à Newcastle et fut l’un des premiers membres de l’International College of Dentists.
Sa collection de lettres, journaux, et photos est conservée à l’Australian War Memorial et a été publiée sous le titre « Ben and His Mates ».
Londres, Picadilly.
Le 3 mars 1918
Mon amour,
Mes lettres ont été terriblement peu nombreuses ces derniers temps. Je ne vous ai absolument pas oubliée, mais je suis constamment sur le qui-vive et je ne parviens ni à calmer mon esprit ni à me concentrer sur quoi que ce soit.
Si, comme je le pense, votre anniversaire tombe le 5 mai, je vous souhaite beaucoup, beaucoup de joie pour cette journée et j’espère que cette triste guerre sera terminée avant votre prochain anniversaire. (…) Je déteste devoir retourner en France, pas parce que j’ai le cafard, plutôt parce que l’usure et le fracas continus me tapent sur les nerfs. On ne peut pas s’installer pour écrire, perpétuellement déséquilibré, on est tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre.
Comme j’ai envie de rentrer. Mon amie, j’ai le mal du pays. Londres est d’une tristesse ennuyeuse, tellement grande qu’on s’y sent seul. Frank, que vais-je devenir ? Un dentiste, un soldat, un fermier ou rien du tout ? Pourquoi cette guerre ne s’est-elle pas déclenchée quelques années plus tard ? J’aurais pu trouver un travail (…)
Le beurre commence à manquer, le sucre aussi. Le pain sera bientôt rationné et pesé. Imaginez un peu l’ennui si notre chère Australie devait faire face à cela. (…) Qu’est-ce que ce serait ?
Un vaste pays laitier s’étendant jusqu’au Sussex, et de beaux pâturages, exactement comme notre Hunter Valley.
Franc, je dois vous laisser.
Je vous embrasse tendrement,
Ben